Cette note expose la menace croissante des initiatives multipartites (MSI) et l’influence grandissante des entreprises sur la gouvernance des systèmes alimentaires via le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS). Le Sommet UNFSS vise essentiellement à obtenir une transition depuis le multilatéralisme - qui implique des processus et des prises de décision dirigés par les États - vers le multipartenariat - une pratique de gouvernance qui rassemble de multiples parties prenantes, notamment des entreprises, des plateformes d’entreprises et des associations d’entreprises, des donateurs, des universitaires et des acteurs de la société civile, pour participer conjointement à un dialogue, à une prise de décision et à la mise en oeuvre de réponses à des problèmes perçus.
Les Nations unies et les organisations et programmes de son système sont censés être multilatéraux par nature ; cependant, le multilatéralisme se transforme de plus en plus en multipartenariat. Ce système permet aux puissantes multinationales, à leurs plateformes et à leurs associations d’orienter l’élaboration des politiques, le financement, les récits et la gouvernance aux niveaux international et national, tout en promouvant de fausses solutions aux systèmes alimentaires en crise, des solutions qui sont avant tout favorables aux entreprises. Compte tenu des multiples crises systémiques (changement climatique, COVID-19, perte de biodiversité, faim, inégalités) auxquelles le système alimentaire industriel mondial contribue et qui affectent les systèmes alimentaires locaux/nationaux, il est nécessaire d’analyser et de transformer les systèmes alimentaires de manière holistique, en visant fermement le changement structurel et systémique, et en s’appuyant sur les droits humains et la souveraineté alimentaire. Pourtant, le Sommet UNFSS a été accaparé par les intérêts des MSI et des entreprises et ses objectifs et processus sont très loin de cette vision. Le sommet va plutôt dans la direction opposée - avec une approche fragmentaire des solutions, un manque de transparence, un manque de rigueur dans l’analyse et un mépris total pour les aspects cruciaux des transformations des systèmes alimentaires tels que la capacité d’agir, le pouvoir, la concentration du marché et les inégalités systémiques.
Les MSI sont dirigées de manière disproportionnée par des entreprises et des sociétés à but lucratif et sont ancrées dans le néolibéralisme et le capitalisme, donnant la priorité aux intérêts du marché sur les droits humains. Cela conduit à séparer le droit à une alimentation adéquate et nutritionnelle des facteurs structurels, tels que les inégalités persistantes de classe, de race et de genre, ainsi que les subventions et les politiques gouvernementales qui soutiennent les entreprises agroalimentaires au détriment des petits producteurs et travailleurs. Au lieu de cela, on privilégie des politiques qui maintiennent le statu quo : la domination du secteur des entreprises dans l’économie alimentaire mondiale, notamment en termes d’intrants de production (pesticides, engrais, semences et races), de commerce des produits agricoles et de transformation des aliments, ainsi que la vente au détail des aliments. Une refonte de la gouvernance mondiale qui se fonderait sur la croissance du chiffre d’affaires des entreprises, sur le Big Data et les solutions purement technologiques (technofix) ne servirait qu’à creuser davantage les inégalités économiques mondiales et à menacer encore plus la souveraineté alimentaire et foncière des populations rurales, paysannes et autochtones.